lundi 1 décembre 2014

Le voyage



- " Hey, tu sais que t'as de belles fesses, toi? On peut toucher?"
- Arrête, tu vas te faire embarquer par la sécurité, et je te jure qu'on poireautera pas pour récupérer". 
- N'empêche, c'est pas faux. Un petit boxer orange et il serait parfait."

Le groupe de copines éclata de rire. Elles étaient six (mais dans leurs coeurs, elles étaient beaucoup plus), à avoir pu s'accorder ce voyage exceptionnel, ce séjour à Rome, sur les traces des plus grands, cette Antiquité dont Elle parlait tant. Comme un retour aux sources, un dernier hommage... 
Les touristes les dévisageaient, un couple soupira de voir des jeunes femmes capables de tant d'impolitesse et d'irrespect envers ces œuvres d'art ; d'autres ne peuvaient s'empêcher d'être pris de curiosité pour ces six nanas, toutes de bleu vêtues, sac à dos chargé et Converse aux pieds. Pas très banal, il faut dire. La villa Borghese n'avait jamais connu ça.

Soudain, les filles s'arrêtèrent, dans un même élan stoppé net. 
Une statue devant elle avait attiré leur attention. Celle-ci était différente des autres. Elle semblait moins abîmée, moins dégradée par les siècles passés, comme si elle était plus récente... beaucoup plus récente. 
Machinalement, les six amies se serrèrent les unes contre les autres. Elles ne riaient plus, elles n'osaient même plus parler.
- "Vous voyez cette expression, sur son visage? C'est comme ça que je me sens, à l'intérieur". 
- Mais pourquoi sommes-nous venues là? Ce n'était pas une...
- Pour Elle, on est là pour Elle... parce qu'elle nous a tant parlé de ce Musée, elle aimait tant cette ville,... Pour qu'Elle soit encore un petit peu avec nous, voilà pourquoi on est là."
Cette phrase était sortie vite, comme un râle, comme sur un dernier souffle, l'impression qu'on ne pourra plus jamais respirer comme avant.
- Elle me manque tellement."

Alors les filles se prirent dans leurs bras, devant cette statue et devant la centaine de gens autour d'elles... et elles pleurèrent. Longtemps, sans bruit, elles pleurèrent. 
Il avait fallu ce voyage auquel Elle aurait dû participer, ces milliers de kilomètres loin du quotidien, pour qu'elles réalisent que la mort leur avait pris leur amie, leur douce et rieuse amie. 

Doucement, une des filles se dégagea. Les autres surent ce qu'elle était sur le point de faire. La première fouilla dans son sac pendant que les autres guettaient l'arrivée d'un gardien. Elle en sortit un bout de tissu, un tricot un peu informe, et d'un geste vif, le passa autour des épaules de la statue. 
Les filles, déjà prêtes à s'enfuir, se tirèrent par la main et se ruèrent dans les escaliers sur leur droite. 
On pouvait les rattraper, les arrêter, elles s'en foutaient. Le trendy châle/string en laine était maintenant au cou d'un bien illustre personnage. Et ça, elles le savaient, ça aurait plu à leur amie. Elles le savaient, car au fond d'elles-mêmes elles entendaient déjà son rire résonner jusqu'à envahir la moindre parcelle de leurs corps meurtris. 



 Leil, la petite bougie de la semaine dernière convenait mieux à mon état d'esprit du moment, mais voici ma participation. Merci ne nous donner l'occasion de nous exprimer, quel que soit ce que l'on ressent.
Je ne pensais pas être capable d'écrire cette semaine, les mots ne venaient pas. 
Mais ma Tanaq', j'espère que de là où tu es, tu peux lire cette histoire, et qu'elle te fait bien marrer. Tu nous manques, on ne t'oubliera pas. 

10 commentaires:

  1. J'aime beaucoup ton texte parce que j'y retrouve vraiment tout l'humour et toute la dérision de Steph, mais aussi les nôtres, et tout ce qui nous lie au fil des années. Et je trouve qu'un voyage collectif à Rome serait une sacrée bonne idée!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Sabine. Y retrouver tout ce qui nous lie, c'était le but. J'espérais y être parvenue.
      Je t'embrasse.

      Supprimer
  2. Quel beau texte ! Si drôle, si... Elle... Bisous

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci ma Stéphie.
      Cette photo m'a bouleversée mais je suis incapable d'écrire ma douleur.
      Alors j'ai fait autrement.

      Supprimer
  3. Un bien beau texte Sarah...Stéphanie me manque beaucoup.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Sara.
      Oui, moi aussi, elle me manque cruellement.

      Supprimer
  4. Un si beau texte à travers lequel je l'entends...bises

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh, merci Dolly, ce que tu dis me touche beaucoup. On ne pouvait pas me faire plus plaisir.
      Je t'embrasse, prends soin de toi.

      Supprimer
  5. Vos textes pour elle sont tous très beaux. Je ne la connais pas mais j'espère qu'elle lit tout cela de tout là-haut, on ressent tout votre amour pour elle. Courage.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Laurie.
      J'espère aussi qu'elle nous zieute de là où elle est.

      Supprimer