lundi 9 mars 2015

Poids plume (Une photo, quelques mots #32)

© Marion Pluss

 © Marion Pluss

Ben parle fort. C'était inévitable. Il est toujours un peu bruyant Ben, quand il a bu. Et un peu con, aussi.
Gilles soupire. La musique, le bruit et la foule ne le distraient même pas.
Il ne voulait pas venir. 
Il ne peut s'empêcher de penser à la dernière fois qu'il a posé les pieds dans ce festival. C'était il y a six ans. 
L'année d'Emy. Emilie en vrai, mais Emy, parce qu'elle trouvait que ça faisait plus rock. Ah Emy... il ne savait rien d'elle, pas même son âge, mais il l'avait pourtant emmenée partout avec lui, pendant des mois. Il se souvient de la facilité avec laquelle il la soulevait pour l'installer sur sa moto. Elle était si légère... Il était fou d'elle.
Et puis, un jour, sans prévenir, elle était partie.  
Il avait morflé. Même longtemps après.

Ben, qui, deux secondes avant, entamait une discussion avec son voisin de droite, éclate de rire et vient lui coller une tape dans le dos : 
- "Trop fort, t'entends ça, mec?
Gilles se dégage :
- Lâche-moi, merde, t'es lourd"
Soudain, il sent qu'il heurte quelque chose. Ou plutôt quelqu'un. 
Un gamin vient de se coller à ses jambes. 
Alors qu'il s'apprête à l'enguirlander, Gilles remarque ses yeux embués. De grands yeux noirs paniqués. 
- "J'ai perdu ma maman" déclare immédiatement le gosse, dans un hoquet. 
Personne ne lui avait jamais dit de ne pas parler aux inconnus?

- Qu'est-ce que tu veux qu'on y fasse, morveux?" lâche Ben, que la détresse du gamin ne semble pas émouvoir. 
Le petit garçon se crispe de peur. 
- "Comment tu t'appelles, bonhomme? demande Gilles
- Arthur.
- Ok, Arthur... mais Arthur comment?"
Le gosse ne semble pas comprendre et renifle bruyamment. 

Gilles se demande quel genre de mère trainerait son petit garçon à un pareil festival, mais il s'abstient de tout commentaire. Et sans qu'il comprenne pourquoi, il sent monter en lui une bouffée de tendresse. Ce qu'il lit dans les yeux d'Arthur lui retourne la tête, le bide, le cœur, tout.
- "Allez, pleure pas, va. On va la retrouver, ta mère."

Alors Gilles le prend par la taille et le hisse sur le comptoir de la buvette installée près d'eux. Poids plume dans ses bras de gaillard.
- "Voilà, dit Gilles d'un ton qu'il veut rassurant. De là, tu vois bien mieux. On va regarder les gens, tous les deux, et on va forcément reconnaître ta maman."

Mais Arthur, lui, ne scrute pas la foule. Il observe, fasciné, les écussons sur le blouson de Gilles. De son petit doigt potelé, il dessine le contour de certains. 
Tiens, c'est marrant, celui-là, avec le petit garçon dessiné, il le connait. 
Il a déjà vu le même.
Sur un vieux blouson de cuir de sa mère. 



 Quelle photo étonnante, cette semaine! Merci Leiloona! J'ai hâte de voir toutes productions inspirées par ces bikers!


20 commentaires:

  1. J'aime beaucoup! Le mélange des genres, la tendresse et la virilité dans toute sa splendeur, la fin ouverte, tout en nuances... Bravo!

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  2. Oh comme c'est joli ! Ca m'a filé des frissons !

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    1. Merci ma Stéphie.
      Ravie de t'avoir fait frissonner!

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  3. Joli texte, je suis passée par un tas d'émotions et la fin ouverte est une très bonne idée :) Bravo

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  4. Ooooh c'est très mignon ! Plein d'émotions, j'aime beaucoup ! Bravo :)

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  5. Bien sûr, la fin est ouverte, mais on ne peut en vouloir qu'une. :-)

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  6. pas mal du tout j'aime :)
    Myrtille http://lagazettedecitronbleu.eklablog.com

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  7. Pas mal et cela laisse vagabonder notre imagination!

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  8. Jolie histoire, dont nous pouvons imaginer la fin qui nous convient le mieux

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    1. Merci!
      Moi je ne vois qu'une fin possible, mais c'est le but, imaginer ce qu'on veut.

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  9. Parfum ou transpiration la fin nous appartiens, merci; beau texte.

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  10. j'aime la fin ... en esperant qu'Emy n'est pas loin...

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  11. Sympa cette fin ! :) Toute douce. Le reste est super bien rendu. :)

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    1. Merci Leil!
      Les histoires douces, ça me connaît.

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