lundi 19 octobre 2015

Le bonheur des uns... (Une photo, quelques mots # 49)



 @Julien Ribot

- "Steph', viens boire un coup, tu as bien mérité une pause". 
Stéphane regarda Emma et sentit les battements de son cœur s'accélérer.
Dans sa salopette rouge maculée de tâches de peinture, les cheveux grisonnants de plâtre, elle lui tendait un verre de limonade et son plus beau sourire. Il la trouva juste magnifique. 
Cette vision valait tous les efforts du monde.  

Le bruit des débroussailleuses qui déblayaient le jardin s'était arrêté. Tout à sa concentration, il n'avait rien entendu. Tous les "ouvriers" du dimanche prenait une pause. Lui s'abrutissait dans le travail.

Ils l'avaient fait. Malgré les avis partagés de leurs proches, les conseils de professionnels, la réticence des premiers jours, ils avaient sauté le pas : Emma et David avaient acheté cette vieille maison dont ils ne cessaient depuis de lui rebattre les oreilles.
Evidemment, Stéphane avait été un des premiers informés. Sa qualité de meilleur ami du couple et surtout d'entrepreneur dans le bâtiment avait fait de lui le maître d'oeuvre du chantier. 
En résumé, Emma et David remettaient leur bonheur à venir entre ses mains. 

Il avait multiplié les visites, le plus souvent avec Emma, pour mesurer, vérifier l’étanchéité, penser le réaménagement des pièces. Emma suggérait, donnait son avis, et lui acquiesçait. Bien sûr que c'était possible...Il s'arrangerait. Il aurait décroché la lune pour elle.
Elle buvait ses paroles et il adorait ça. Ces moments volés, rien que tous les deux, il ne les aurait échangés pour rien au monde. Pendant quelques heures il se permettait de rêver que les plans qu'il projetait dans cette maison n'étaient pas pour David mais pour lui, que cette vie qu'il inventait était la sienne, la sienne et celle d'Emma.

Les travaux avaient débuté cinq jours auparavant. Toute la semaine, Stéphane avait travaillé avec ses employés, et il avait réussi à donner le change. C'était un chantier comme les autres. C'est tout. 
Le week-end aidant, les amis du couple s'étaient réunis pour donner un coup de main. L'ambiance était bon enfant, les participants œuvrant selon leurs compétences, plus ou moins efficaces... 
Tous ces fous-rires, ces blagues et cette bonne humeur lui devenaient insupportables. David enlaçait Emma dès qu'il le pouvait, ne cessait de le remercier, et il était même allé jusqu'à promettre de le désigner parrain de leur premier enfant. 

- "Tout va bien?" lui demanda Emma.
Le sourcils froncés, elle paraissait vraiment inquiète. 
Le cœur de Stéphane se serra. Il se força à lui sourire.
- "Oui, ça va. Juste un peu fatigué.
- M'en parle pas. Je n'ai pas fermé l’œil depuis une semaine."
Ce n'est qu'à ce moment qu'il vit ses yeux cernés, son teint pâle et ses traits tirés.
Elle ne semblait pas respirer le bonheur.  
L'esprit de Stéphane s'emballa : se pouvait-il qu'elle regrette cet achat? qu'elle n'envisage plus sa vie dans ce trou paumé? ni même avec David? 
C'était ridicule! Il fallait qu'il se raisonne. 

Il avança sa main pour saisir le verre qu'Emma lui tendait. Lorsque ses doigts effleurèrent le poignet de la jeune femme, ce contact les électrisa. Surprise, Emma lâcha le verre.
Alors qu'elle se penchait pour ramasser les débris, Stéphane la prit par les épaules, l'obligeant à le regarder. 
Il ne put s'empêcher de replacer une longue mèche de cheveux derrière ses oreilles parfaitement dessinées. Il murmura, dans un souffle :
- "Emma... es-tu heureuse?"

Elle baissa les yeux et ne répondit pas. 



Si cette photo inspire à Leiloona des trucs un peu glauques, elle m'a inspiré une suite logique à la photo d'il y a quinze jours. 
Comme quoi...

lundi 12 octobre 2015

Baptème du feu (Une photo, quelques mots, # 48)

 @Kot

L'officier Maureen David marqua un temps d'arrêt devant les dernières marches qui descendaient vers la grille. 
Une bouffée de panique la saisit.
Son corps vacilla sous le poids du trousseau de clés dans sa poche. 

Elle aurait pu laisser un de ses supérieurs s'en charger. 
Mais cela aurait été perçu comme un signe de faiblesse, ce qu'elle ne pouvait pas se permettre. 

72h que la jeune Madeline Jameson avait disparu.
72h que toute la brigade était sur le coup. 
72h qu'elle, l'officier David, fraîchement sortie de l'académie, avait pris ses fonctions au commissariat de secteur. 

Si elle s'attendait... 
La première journée avait plutôt bien démarré. PV pour stationnement gênant ou excès de vitesse, intervention sur une dispute entre deux commerçants, voilà l'idée qu'elle se faisait de la routine du flic lambda. Et objectivement, elle s'en était bien sortie.

Lorsque son coéquipier et elle avaient avisé le jeune homme titubant entre les passants, elle en avait conclu qu'ils étaient bons pour un aller retour jusqu'au commissariat afin qu'il cuve en cellule de dégrisement. 
Elle se souvenait avoir pensé : "Pourvu qu'il ne gerbe pas dans la voiture..." 
Encouragée par ces premiers succès, elle avait interpellé l'individu la première. Elle n'avait pas tardé à repérer les traces de sang sur sa chemise et sur ses mains. D'instinct, elle avait reculé. 

Tout s'était alors enchainé très vite. 
L'homme, Tom Daniels, disait s'être battu avec un camarade d'études, mais était incapable de donner son nom. On avait retrouvé dans sa voiture un miroir de poche appartenant à Madeline Jameson.
La garde à vue de Daniels s'était prolongée. Il était resté muet. 
Au bout de vingt heures, il avait émis une requête. 
Il voulait parler à l'officier qui avait procédé à son arrestation. 
Il dirait tout. 
Mais à elle seulement. 
Leur entrevue avait été un supplice. Son regard, son attitude, tout en lui l'avait terrifiée.

L'officier Maureen David se tenait maintenant devant la cave de l'appartement de Tom Daniels. Immobile, elle tentait de calmer les tremblements de ses membres. 
Si Daniels avait dit vrai, le corps sans vie de Madeline Jameson se trouvait en bas, derrière cette porte. 
A elle seulement, il avait confié ses clefs, l'autorisant à pénétrer dans son antre, et à découvrir l'horreur absolue. 

Elle n'avait pas signé pour ça.



mercredi 7 octobre 2015

Mêlée à deux, Angéla Morelli

 
Qui dit premier mardi, dit lecture sexy, grâce à Stéphie
Oui, ça fait plein de "iiiiiiiiiiii" mais comme c'est permis... 

J'suis lourde, là? 

Avant d'être hors délai, je profite de ce jour béniii (c'était facile) pour présenter ma lecture d'une nouvelle parue chez HQN, dans le cadre d'une opération visant à célébrer le rugby, en cette période de Coupe du Monde (on me chuchote dans l'oreillette que les organisateurs, honteux, auraient envisagé de tout arrêter avant les quarts de finale... LOL). 




 



L'histoire : Eugénie, la vingtaine, a quitté Paris pour la région de Montauban, dans l'espoir d'y trouver le calme et le zénitude dont elle a besoin. Elle prête main forte à sa tante qui tient un gîte, en s'adonnant à sa passion de la cuisine. Jusque là tout va bien. 
Mais Eugénie n'avait pas prévu de devoir nourrir sept rugbymen bien bâtis et surtout de devoir laisser sa chambre au plus charmant d'entre eux.









Mon avis : Je retrouve avec délice la plume d'Angéla Morelli. 
Beaucoup d'humour, toujours, une écriture légère et enjouée, résolument moderne, et des personnages hauts en couleurs, à commencer par leurs prénoms : Eugénie et Rodrigue sont donc les nouveaux héros de cette romance. 
Eugénie, malgré son prénom de reine du sud, n'a rien d'une comtesse ou d'une impératrice. Les cheveux roses, addict de science-fiction, la jeune fille a le juron facile. Et le juron fleuri, aussi. Un peu moins sophistiqué mais un peu plus original qu'une autre héroïne d'Angéla, Emilie (euh... rassurez-moi, tout le monde connait Emilie, hein?). Et on ne peut que rire à ces expressions saugrenues. 
Mais Eugénie est aussi une fille sensible. Et en manque...
Il ne lui en faut pas beaucoup pour tomber sous le charme de Rodrigue, le meneur de l'équipe. 
Problème : sous ses airs de gentil garçon, Rodrigue cache un passé de bad boy. En rédemption, le bad boy, mais quand même. 

Cela donne des scènes terriblement haletantes, parce que oui, parfois, il suffit juste d'un baiser au dessus d'un lave-vaisselle ouvert, pour que la lectrice, fébrile, chavire en même temps qu'Eugénie. Soupirs...
Rodrigue et Eugénie vont donc vivre leur histoire entre cuisine, salle de bains et jardin... (encore quelques scènes croustillantes savamment orchestrées), alternant moments de grâce, empoignades musclées entre coéquipiers et méprises ou quiproquo. 
Sans en faire des tonnes (contrairement à d'autres nouvelles de la même collection, sur lesquelles je pourrai revenir), avec des personnages simples et crédibles, Angéla Morelli démontre, s'il en fallait encore une preuve, que le rugby, oui, c'est sexy!

Un petit bémol tout de même (parce que oui, pour une fois, il y en a un... incroyable...), sur la capacité d'Eugénie à penser grâce à son "cerveau reptilien". La reprise systématique de l'expression m'a un peu gênée, même si je ne comprends que trop bien ce que l'auteur a voulu dire par là (aurais-je un fonctionnement proche de celui de l'héroïne? Il faut croire que oui!).
Mais c'est un détail tellement riquiqui, ridiculement insignifiant, qu'il ne doit surtout pas vous empêcher de dévorer cette nouvelle fraîche et actuelle, qui se lit d'une traite!

Une chose est sûre, Angéla Morelli a su s'approprier le thème et l'univers du rugby comme une pro (Allez, avoue, combien d'heures as-tu passées dans les vestiaires?). On passe vraiment un très chouette moment avec ce duo attachant et moderne.